Savoir sans apprendre ? Du désir de savoir au désir d’apprendre
A la lecture du livre de Philippe Meirieu « Le plaisir d’apprendre« , je me suis rendue compte qu’il n’est pas si facile de transformer le désir inné de savoir en désir d’apprendre.
Savoir sans apprendre est le rêve de nombreuses personnes ! C’est aussi le mien quand je regarde tous les livres que j’aimerais lire et que je me dis que j’aimerais bien greffer directement dans mon cerveau les connaissances de Maria Montessori, de Célestin Freinet, de Faber et Mazlish, d’Isabelle Filliozat, ou encore d’Antoine de la Garanderie
Passer du désir de savoir au désir d’apprendre
Si l’on s’en réfère à Aristote, notre désir de savoir est naturel. Le simple fait de tourner les yeux pour savoir ce qui se passe atour de nous est la base de la curiosité naturelle, elle-même base des apprentissages.
Plus près de nous, Alison Gopnik (spécialiste en psychologie du développement) considère que « le bébé est un chercheur en herbe ». Dès son plus jeune âge, le bébé s’intéresse à tout ce qui l’entoure. Elle insiste sur le fait que « les petits ne sont pas des adultes imparfaits ». La façon dont l’adulte peut comprendre le monde ne lui est pas donnée à la naissance : seul le désir de savoir est inné mais la compréhension du monde est construite au cours de la vie et passe par différents stades de développement.
Philippe Meirieu complète cette vision de l’enfant : l’enfant est un être curieux de tout, hanté par le « pourquoi ? » et assoiffé d’explication.
Boris Cyrulnik confirme : même les enfants en retard intellectuellement ou souffrant d’inhibition du fait d’un défaut de sécurité affective peuvent retrouver le goût de savoir dans un environnement bienveillant et stimulant.
Mais il ne suffit pas de penser très fort à quelque chose pour que cette chose tombe du ciel ! Pour transformer le désir de savoir en apprentissage effectif et en connaissance, il faut nécessairement passer par la phase du « comment ça marche ?« , par celle des essais et tâtonnements, par l’étude de l’existant et par ses propres expériences.
Bernard Stiegler, philosophe, ajoute que la condition du savoir est l’amour du non-savoir, c’est-à-dire la capacité à accepter les remises en question, les controverses, les polémiques.
En ce sens, passer du désir de savoir au désir d’apprendre nécessite des efforts, de l’humilité, de l’aventure et du courage. L’enfant qui apprend à marcher passe de la station couchée puis assise et enfin debout par désir d’élévation à travers des étapes qui comportent des essais, des chutes, des demies-réussites, parfois des régressions.
Qu’est-ce qu’apprendre ?
Dans « Le plaisir d’apprendre », Philippe Meirieu définir la notion d’apprendre :
« Apprendre, c’est compliqué : on tâtonne, on perd du temps, on gâche du matériel.
Apprendre, c’est difficile : il y a des détours à faire, des obstacles à surmonter, des échecs à dépasser.
Apprendre, c’est toujours risqué : il faut quitter ses certitudes et s’engager dans l’inconnu sans être jamais sûr d’arriver à bon port. »
Les apprentissages sont souvent longs, parfois fastidieux, nécessitent de faire des liens, d’en défaire d’autres.
Savoir sans apprendre : possible mais vraiment souhaitable ?
Pour reprendre mon exemple, je sais que si je pouvais connecter mon cerveau sur un réseau d’informations géant qui le remplirait avec toutes les informations disponibles, je n’éprouverais pas autant de plaisir, de satisfaction ni de fierté qu’en lisant des livres, en sélectionnant les informations qui me sont utiles, en synthétisant par moi-même, en cherchant à réexpliquer et à partager avec d’autres mes découvertes, en ressentant le déclic de compréhension, en sentant les informations se mettre en lien dans mon cerveau.
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Savoir sans apprendre est désormais possible grâce à la technologie : pas besoin de savoir comment fonctionne un processeur ou un logiciel pour se servir d’un ordinateur, pas besoin de connaître les notions de profondeur de champ ou d’ouverture du diaphragme pour prendre une photo, pas besoin de compiler et trier des informations sur un sujet quand Wikipedia l’a déjà fait.
Or il y a plus de plaisir et de liberté dans le fait de comprendre, de découvrir, de s’approprier des connaissances que dans le fait de simplement les appliquer ou les copier.
Marcel Gauchet, philosophe et historien, complète sur les motivations dans les apprentissages :
« On apprend d’abord pour soi-même, pour se saisir mieux, pour se fortifier, pour s’élargir, pour prendre distance avec soi-même. »
Avant d’éprouver du plaisir à apprendre, il est donc nécessaire de retrouver ce sens personnel dans la démarche de savoir, apprendre pour soi, au service d’un désir ou d’un projet personnel.
Comment accompagner et favoriser le désir d’apprendre ?
A partir de là, Philippe Meirieu conseille à tous les parents, enseignants, éducateurs :
« A nous de prendre le temps, de jardinage en bricolage, de lectures en jeux de société, de discussions en explorations, pour découvrir, avec nos enfants, « comment ça marche » et nous émerveiller avec eux. »
Marcel Gauchet renchérit à propos des enseignants :
« Rien n’est plus contagieux que l’exemple. Qui a du plaisir en donne le sens et le goût. »
Boris Cyrulnik témoigne quant à lui que
« Les arts, la culture, l’expression de la beauté sont les meilleurs alliés de l’école pour stimuler l’envie d’apprendre d’un enfant. »
Dans le magazine Philosophie (septembre 2013), Jean-Yves Michaud ajoute que le travail sur du concret est plus favorable au déclic de l’apprentissage : monter une pièce de théâtre, créer un objet, participer à un projet qui met en lien plusieurs disciplines, construire des maquettes. Valoriser les expériences concrètes, c’est permettre de raisonner.
Daniel Gostain, professeur des écoles en pédagogie Freinet, soutient que :
« Pour grandir et apprendre, un enfant a besoin de s’exprimer, de créer et de partager. Dans la classe Freinet, on s’exprime, on crée tous les jours, que ce soient des maquettes, des jeux, des travaux personnels préparés ou non, qu’on partage ensuite. »
Dans « Apprendre à apprendre », André Giordan et Jérôme Saltet insistent quant à eux sur la place de la personne dans les apprentissages et sur les liens entre estime de soi (image de soi-même en fonction de ses valeurs et croyances), confiance en soi (évaluation de ses capacités et de ses ressources personnelles) et apprendre.
« Quand l’individu sait qui il est, ce qu’il veut faire, quelles sont les valeurs qu’il défend, il va plus facilement chercher le savoir dont il a besoin. »
« Renforcer l’estime de soi, la confiance en soi, prendre en compte ses désirs seraient donc bien une démarche d’éducation à investir. »Extrait du livre Apprendre à apprendre