Lettre de Paul Éluard à Gala
Je n’ai qu’une envie : te voir, te toucher, te baiser.
Eugène Émile Paul Grindel, dit Paul Éluard, (du nom de sa grand-mère) n’était pas vraiment destiné à devenir poète et communiste. Né dans un milieu bourgeois, la famille s’installe à Paris rue Louis Blanc dans le dixième arrondissement. De santé fragile, il part en Suisse avec sa mère Jeanne-Marie Cousin à Montreux dans le hameaude Glion mais il est pris d’un accès d’hémoptysie qui se transforme en tuberculose et part se soigner au sanatorium de Clavadel près de Davos dans l’est de la Suisse.
En 1914, il y rencontre une jeune fille russe en exil dont il tombe amoureux, Helena Diakonova qu’il surnomme Gala. Sa personnalité, sa vaste culture l’impressionnent beaucoup, il lui compose des poèmes, elle inerve tousses écrits. Dès sa majorité, il l’épouse le 21 février 1916 et, triomphal, il écrit en mai 1918 à l’un de ses amis : « J’ai assisté à l’arrivée au monde, très simplement, d’une belle petite fille, Cécile, ma fille ».
Avril 1928
Mon cher amour, mon doux amour,
Je suis encore couché aujourd’hui. Je viens de faire un rêve merveilleux, un de ses rêves de jour où les émotions physiques vous laissent au réveil toute la part du désir — et le désir qu’on traîne, ensuite, éveillé, ressemble tellement au plaisir du rêve. J’étais étendu sur un lit à côté d’un homme que je ne suis pas sûr d’identifier, mais un homme soumis, rêveur depuis toujours et pour toujours et silencieux. Je lui tourne le dos. Et tu viens t’allonger contre moi, énamourée, et tu me baises les lèvres doucement, très doucement et je caresse sous ta robe tes seins fluides et si vivants. Et tout doucement, ta main par-dessus moi, va chercher l’autre personnage et s’impose à son s*xe. Je vois cela dans tes yeux qui se troublent lentement, de plus en plus. Et ton baiser devient plus chaud, plus humide, et tes yeux s’ouvrent de plus en plus. La vie de l’autre passe en toi et, bientôt, c’est comme si tu br*nlais un mort. Je m’éveille, grisé légèrement, incapable de renoncer à ce plaisir.
Il faut avouer que le retour à Arosa ne m’apparaît pas triste, que ce n’est d’ailleurs pas un retour à Arosa, mais un retour à toi, par conséquent à mon amour. Par conséquent, je n’ai qu’une envie : te voir, te toucher, te baiser, te parler, t’admirer, te caresser, t’adorer, te regarder, je t’aime, je t’aime toi seulement, la plus belle et dans toutes les femmes je ne trouve que toi : toute la Femme, tout mon amour si grand, si simple
Je vais mieux. Philippon est ce matin, dit qu’il faut être prudent, mais que je n’ai rien à la poitrine. Il m’a donné pour le nez dont je souffrais beaucoup, une pommade cocaïne qui m’a instantanément calmé.
J’ai tout le temps pensé à t’envoyer des livres, mais il n’y a que trois jours que j’en ai trouvé. Et je les lis avant de les emporter, par prudence. Tu en auras au moins trois, dont deux qui te plairont, t’enchanteront sûrement.
Je répète dans toutes mes lettres que les robes vont bien et tu dois t’attendre à monts et merveilles. N’y crois pas trop. J’ai au contraire l’impression que ce sera tout juste. Enfin, pourvu que ma bien-aimée fasse l’amour toute nue — et aussi toute habillée !
J’ai reçu votre télégramme avant le sommeil décrit au verso. « Baisers », disait-il. C’est cela qui m’a tellement troublé. Et aussi des souvenirs ravivés, je vous dirai comment à Arosa. Mais je souffre terriblement de votre absence. J’ai de plus en plus la volonté d’aller mieux. J’ai été très flatté d’un compliment d’une petite Berlinoise très jolie rencontrée chez Crevel (que nous avions été voir à Berlin et qui voulait vendre deux petites Rousseau. Son mari était un [assez] joli garçon pédéraste, tu lui trouvais même « très beau ») : que j’étais « grand et beau, avec la taille mince et les épaules larges ». Qu’elle garde ses illusions ! Je considèrerais comme sacrilège de les lui enlever !! hi ! hi ! Je vous envoie d’autres photos de votre Jouk qui se montre « aussi » très « aimable » avec moi, reste sur mon lit. Je lui parle de vous. Il remue la queue, met son nez contre ma main.
Je partirai sans faute vendredi soir. Vous, vous devrez partir de Magadino samedi matin de bonne heure pour être à Arosa le soir, à moins que vous préfériez rester le dimanche à Magadino pour des raisons [sic]. Soyez sûre que je n’y trouverai pas à redire un mot. J’arrangerai tout à Arosa, dans ce cas, pour vous recevoir dignement. Mon désir de vous n’en sera pas moins grand.
En tout cas, ce qui est, c’est que votre image ne me quitte pas une minute, que je vous aime en tout : en vous, en toute chair aussi, en tout amour. Je suis votre mari pour toujours,
Paul.
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