- La supplique du vieux jardinier
Combien me reste-t-il de printemps à semer
Quand le soleil levant dissipe la grisaille?
Perce-neige et crocus, plantés dans la rocaille,
Seront les tout premiers pour venir nous charmer
L’odorant seringa, le muguet, la jonquille,
Les arbres du verger, tout habillés de blanc,
Ecoutent, stupéfaits, la grive qui babille
Et les éclats de voix d’un merle conquérant.
Combien me reste-t-il d’étés à contempler
Quand la lune est propice au lever des semailles?
Les prés sont tout remplis de champêtres sonnailles.
Les taillis, les buissons de nids vont se peupler.
Le moineau pillera la fraise et la framboise.
Le discret chèvrefeuille embaume les matins,
La frêle campanule a des airs de bourgeoise,
Le rosier souverain exhale ses parfums.
Combien me reste-t-il d’automnes à subir
Quand septembre apparaît nous tenant ses promesses?
Les jardins, les vergers dispensent leurs richesses
Et l’ouest orageux nous frappe sans faiblir.
L’aronde se rassemble et la maison frissonne,
Notre parterre accueille un dernier papillon;
Quand tout devient muet, la nature s’étonne
Et le merle craintif se cache en son buisson.
Combien me reste-t-il d’hivers à redouter
Quand l’aquilon fougueux nous couvre de nuages?
Les oiseaux migrateurs quittent leurs pâturages,
Les bois tout effeuillés semblent se lamenter;
Les champs sont dépeuplés, la nature déserte,
Tout n’est plus que silence engourdi de frimas,
Plus un cri, plus un chant, toute chose est inerte,
Seul, le vent mugissant sévit avec fracas.
Puissent d’autres saisons m’accorder un répit,
J’aime où je vis heureux, j’admire la nature,
J’écoute les oiseaux, j’aime ce qui fleurit,
Mais, quand le temps viendra de l’ultime écorchure,
Fasse que le soleil qui toujours me sourit
Se penchera vers moi pour panser ma blessure.
Poème de Jacques-Maurice Sutherland
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