Au début de ma carrière, où je faisais des remplacements de médecins de campagne, je me rappelle un appel de nuit.
Vous savez, il est très difficile de trouver son chemin dans la campagne, mais la souffrance, c’est la petite lumière isolée au bout d’un champ, c’est la ferme qui vous attend là où il y a un problème vital.
Je me souviens d’être allé dans une ferme isolée où j’ai vu une dame qui était dans son lit, gémissante.
Près d’elle son mari, paysan, casquette sur la tête, rugueux, un peu “brut de décoffrage” comme on dit.
On a seulement échangé quelques mots, c’était très sauvage comme rencontre… On a peu parlé, je lui ai fait mes prescriptions et il est venu avec moi jusqu’à la porte. Je l’ai regardé, c’était un homme très archaïque, farouche, mais au moment où je partais, il a cueilli une fleur sur sa haie et il me l’a donnée.
Ce signe évidemment m’a bouleversé parce qu’il avait trouvé un geste d’une incroyable délicatesse pour me donner une fleur. Il ne savait pas exprimer, ne savait pas ritualiser. C’était un instant béni parce que ni lui ni moi ne nous comprenions, mais qu’il y avait cette générosité. Oui, c’était une rencontre fragile.
Comme dit Lévinas (je cite à peu près) : “Dans certaines rencontres, c’est à la fois Dieu qui se manifeste en même temps qu’il se retire pour laisser la place à cette rencontre.”
Cette anecdote montre combien, même quand une rencontre a du mal à s’opérer, quand des paroles ont du mal à être dites, l’humain a d’autres chemins qui s’offrent à lui.
Celui de la délicatesse, par exemple. Je crois qu’il ne faut pas oublier la délicatesse que l’on doit avoir les uns envers les autres ; c’est à partir de là que les choses peuvent se construire. ”
2 ème extrait :
Parler de la fragilité c’est donc se reconnaître que le rapport entre nos forces et nos faiblesses fonde toute vie et toute influence notre relation à l’autre et à nous mêmes.
C’est affirmer que la dimension humaine d’une société se mesure à la manière
dont elle traite la fragilité de ses membres.
3 ème extrait :
Enfin, et ce n’est pas le moins important, il a été soulignéàa quel point les personnes fragiles ou fragilisées, ainsi que celles qui souffrent d’un handicap, peuvent nous révéler à nous-mêmes, « les moins fragiles », à cause de leur expérience quotidienne et leur maturité humaine.
La fragilité. Faiblesse ou richesse ?
Chapitre Permanence de la fragilité, de Xavier Emmanuelli, extrait
Editions Albin Michel – Espaces Libres
Résumé :
Notre monde semble souvent vouloir n’offrir qu’un seul visage : celui de la pleine santé, de la jeunesse, de la prospérité, du succès.Mais ce qui apparaît chaque jour, à travers les épreuves qui s’offrent à la société et à nos vies, c’est la fragilité de l’humain. Accepter sa fragilité, accepter d’en parler, c’est refuser d’emblée de céder à la tentation d’une position factice et toute-puissante. C’est permettre également de ne pas se laisser aller à une posture victimaire, à la glorification de la faiblesse.
Tout au long de cet ouvrage, psychanalystes, médecins, spécialistes des religions et de l’économie explorent les facettes de la fragilité.
Celle-ci dévoile alors ses richesses insoupçonnées, en même temps que se dessine le vrai visage de la force : celle d’une humanité consciente à la fois de ses limites, mais aussi de ses ressources.
Texte très intéressant ! En effet, chaque individu correspond à sa façon ! Certaines personnes parlent facilement d’autres non !