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32 anecdotes sur Sénèque qui m’ont marqué lors de la lecture de « Dying Every Day: Seneca at the court of Nero » de James Romm.
Un livre passionnant tant par son contenu que par sa forme.
Cet article est basé majoritairement sur le travail de James Romm « Dying Every Day: Seneca at the court of Nero« . Ce livre fait partie de mes meilleures lectures de 2016. Non seulement on y apprend beaucoup sur Sénèque et son époque, mais on profite aussi de l’excellente plume de l’écrivain. Le livre se lit comme un roman ayant d’étranges ressemblances avec Game of Throne…
J’ai été plusieurs fois surpris par des éléments, détails et anecdotes concernant Sénèque, Caligula, Néron et d’autres personnages contrastés. J’ai décidé de les réunir dans ce bref article. Je n’ai pas non plus pu m’empêcher d’y introduire quelques citations – mea culpa. Le livre est en anglais, j’ai essayé de traduire au mieux de mes compétences. N’hésitez pas à proposer une meilleure alternative.
Afin de comprendre les puces ci-dessous, il est nécessaire de comprendre à quelle époque nous nous trouvons. Nous sommes à la même époque que Jésus (entre 0 et 70 après J-C.). Sénèque vient d’une famille peu fortunée. Grâce à un mélange de chance, de talent littéraire et d’intelligence politique, il se retrouve précepteur du nouveau princeps : le jeune Néron. Il perd rapidement pouvoir sur le jeune homme qui assassine jovialement ses opposants, son frère, sa femme et même sa mère. Sénèque reste néanmoins dans la cour et amasse une fortune tout en écrivant ses textes philosophiques. Néron finit par exiger sa mort. Sénèque décide alors de se suicider en s’ouvrant les veines, s’empoisonnant et s’étouffant dans un bain de vapeur successivement.
- « Les choses qu’une personne espère sont aussi celles qu’elle doit craindre » [1] Cette citation résume la vie de Sénèque : un homme tiraillé entre la sagesse et l’appât du gain. Lequel était le « vrai » Sénèque ?
- Caligula trouvait que les discours de Sénèque manquaient de solidité : un enchaînement de phrases accrocheuses sans fil conducteur. Il ajoute « qu’il n’y a presque aucune phrase de Sénèque qui ne puisse être cité; mais le lire est comme dîner avec rien d’autres qu’une sauce aux anchois ». [2]
- De son côté, Sénèque n’était pas plus clément. « Il semblerait que la nature l’ait [Caligula] produit comme une expérience, pour montrer ce que vice absolu peut accomplir jumelé au pouvoir absolu. » [3]
- Sénèque a utilisé la même astuce rhétorique durant toute sa vie : autoriser ses lecteurs à écouter ce qui semble être une conversation intime. Par exemple, ses Lettres à Luciliusou ses diverses consolations sont écrites en utilisant ce procédé.
- « Nous assumons que les choses nous appartiennent – famille, richesse, position – alors qu’elles nous étaient que prêtées par la Fortune. Nous prenons pour acquis qu’elles seront avec nous pour toujours, et nous pleurons leur perte; mais la perte est un événement naturel – c’est ce à quoi nous aurions dû nous attendre. » [4]
- « Nous disons à tort que le vieux et le malade sont « en train de mourir », les enfants et les jeunes le sont aussi. » [5]
- Le princeps était le membre premier du Sénat qui était à cette époque l’équivalent d’un empereur bien que sous une « république ». S’il décidait que quelqu’un devait mourir (pour de bonnes ou de mauvaises raisons), le malheureux avait deux choix :
- Se suicider et léguer sa fortune à sa famille
- Se faire décapiter et laisser sa famille ruinée
Inutile de dire que la plupart choisissait la première possibilité.
- Une stratégie commune des dirigeants romains était d’élever des membres du petit peuple à des positions honorifiques. Ils s’assuraient ainsi d’être entourés de personnes leur devant tout.
- Paul (le chrétien) a vécu un certain temps à Rome. On ne sait pas grand-chose sur sa vie là-bas, mais certains historiens pensent qu’il a pu développer une amitié avec Sénèque. On aurait même retrouvé une correspondance entre les deux hommes. Malheureusement, il est impossible de dire si ces lettres sont véridiques.
- La politique romaine était riche en accusations d’adultères, de débauches ou d’incestes. Cette technique permettait d’éliminer facilement un opposant. Comme quoi, notre politique actuelle n’a pas évolué.
- « Se battre contre un égal est risqué; contre un supérieur, insensé; contre un inférieur, dégradant » [6] affirme Sénèque dans De Ira. En d’autres termes, se battre n’est pas une bonne stratégie pour le philosophe.
- La routine du soir de Sénèque : S’asseoir dans son lit, à côté de sa femme, et revoir les moments de la journée où ses émotions ont pris le dessus. A-t-il été trop colérique pendant une dispute ? A-t-il utilisé des mots trop violents ? À chaque fois, se dire à soi-même « Que tu ne refasses plus cela, mais maintenant je te pardonne ». [7]
- L’habilité de rire était pour Sénèque l’antidote à la pétulance qui vient avec le privilège/la richesse.
- Néron a assassiné son demi-frère Britannicus en empoisonnant la neige qu’on utilisait pour refroidir le vin chaud qui était trop chaud. On peut dire que c’est original !
- Dire que Diogènes le cynique était minimaliste est un euphémisme. Il ne possédait qu’une toge, un sac pour transporter son pain sec et une tasse pour boire l’eau des fontaines. Un jour, il vit un enfant boire en utilisant ses mains. Il jeta sa tasse, dégoûté par son amour du luxe. Minimalist before it was cool.
- Pour les stoïques, la richesse n’était pas un problème. Elle faisait partie des choses dont on doit être indifférent : elle ne cause ni bonheur ni malheur. Enfin, c’est ce dont Sénèque voulait se persuader.
- « Personne n’a excellé mieux que ce millionnaire quand il s’agit de louer la pauvreté » [8] a écrit la biographe Miriam Griffin à propos de Sénèque.
- « Par quelle sagesse, par quel enseignement des philosophes Sénèque a-t-il réussi à amasser plus de 300 millions de sesterces en quatre ans ? » [9] se demanda Suillius, un membre du Sénat. 300 millions de sesterces représentaient une fortune.
- Sénèque utilise la défense suivante : en effet la richesse ne convient pas à l’homme sage. Mais il ne se considère pas comme sage, la règle ne s’applique donc pas.
- Néron aimait faire la fête. On estime qu’il a dépensé plus de 2 milliards de sesterces à cet usage. Un sacré fêtard !
- « Oderint dum metuant » qui veut dire « laisse-les haïr tant qu’ils craignent ». Cette phrase résume la stratégie gouvernementale de Néron.
- Sénèque écrira dans l’une de ses dernières lettres : « J’ai enduré des terribles épreuves, car j’étais incapable de m’endurer moi-même. » [10] Ne faisons-nous pas tous de même à une certaine échelle ?
- Sénèque avait l’habitude de prendre des bains froids. Eh oui, même lui !
- Sur l’absurdité de craindre la mort : « Nous craignons les inondations alors qu’il suffit qu’une gorgée d’eau aille dans la mauvaise direction pour qu’elle nous doit létal. » [11]
- Pourtant, à la fin de sa vie, Sénèque était tellement effrayé de se faire empoisonner qu’il ne mangeait que des fruits qu’il cueillait de ses arbres et ne buvait que l’eau de la rivière.
- Il est possible qu’un important complot visant à tuer Néron eût aussi pour but de placer Sénèque comme nouveau princeps. Sénèque était peut-être à deux doigts d’atteindre le pouvoir suprême, comment aurait été alors Rome ?
- « Peu importe combien tu en tues, tu ne tueras jamais ton successeur » [12] avait dit Sénèque au jeune Néron.
- Néron essaya de se suicider en s’égorgeant. Malheureusement, la lame n’alla pas assez profondément. Un dernier esclave encore fidèle à Néron (il avait l’habitude de s’habiller en femme pour combler les fantasmes sexuels de son maître) prit la peine de lui enfoncer la lame jusqu’à la carotide. Ses opposants essayèrent de le faire survivre pour le torturer comme il se doit mais il était trop tard.
- Après la mort de Sénèque puis de Néron, Vespasian, le nouveau princeps, décida de bannir tous les stoïques et cyniques de la ville de Rome en 71.
- Pour des raisons inconnues, Vespasian autorisa un seul sage à rester à Rome : Musonius Rufus. Les paroles de ce dernier eurent une influence particulière sur un jeune esclave nommé Epictète.
- Epictète obtenu la liberté et attira des foules immenses grâce à ses enseignements.
- Quelques années plus tard, ses enseignements – retranscrit dans son manuel – touchèrent un jeune noble : Marc-Aurèle. C’est alors que pour la première et la dernière fois dans l’Empire romain, un homme fut à la fois un sage stoïque et un princeps. Le rêve de Sénèque était devenu réalité presque 100 ans plus tard.
Source et notes
- « Dying Every Day: Seneca at the court of Nero » de James Romm
- [1] “The things one hopes for are also the things one must fear.”
- [2] “There is hardly a sentence [in Seneca] which might not be quoted; but to read him straightforward is like dining on nothing but anchovy sauce.”
- [3] “It seems that Nature produced him as an experiment, to show what absolute vice could accomplish when paired with absolute power,”)
- [4] « We assume that we own things—family, wealth, position—whereas we have only borrowed them from Fortune. We take for granted that they will be with us forever, and we grieve at their loss; but loss is the most normal event—it is what we should have expected all along. «
- [5] « We wrongly say that the old and sick are “dying,” when infants and youths are doing so just as certainly. »
- [6] “To fight against an equal is risky; against a higher-up, insane; against someone beneath you, degrading.”
- [7] “See that you don’t do that again, but now I forgive you.”
- [8] “No one excelled this millionaire in singing the praises of poverty.”
- [9] “By what kind of wisdom, by what teachings of the philosophers has Seneca heaped up 300 million sesterces in four years as a palace insider?”
- [10] “I endured incredible trials because I could not endure myself.”
- [11] « We fret over oncoming floods, when a drink of water that goes down the wrong way can be every bit as lethal. »
- [12] « No matter how many you kill, you can’t kill your successor.”
Via : speedevelopment.com/