Un haut rang, une illustre naissance, d’importantes fonctions, un certain vernis de politesse, une grande réserve dans la conduite, ou les prestiges de la fortune sont, pour eux, comme des gardes qui empêchent les critiques de pénétrer jusqu’à leur intime existence.
Ces gens ressemblent aux rois dont la véritable taille, le caractère et les moeurs ne peuvent jamais être ni bien connus ni justement appréciés, parce qu’ils sont vus de trop loin ou de trop près.
Ces personnages à mérite factice interrogent au lieu de parler, ont l’art de mettre les autres en scène pour éviter de poser devant eux ; puis, avec une heureuse adresse, ils tirent chacun par le fil de ses passions ou de ses intérêts, et se jouent ainsi des hommes qui leur sont réellement supérieurs, en font des marionnettes et les croient petits pour les avoir rabaissés jusqu’à eux.
Ils obtiennent alors le triomphe naturel d’une pensée mesquine, mais fixe, sur la mobilité des grandes pensées.
Aussi pour juger ces têtes vides, et peser leurs valeurs négatives, l’observateur doit-il posséder un esprit plus subtil que supérieur, plus de patience que de portée dans la vue, plus de finesse et de tact que d’élévation et de grandeur dans les idées.
Néanmoins, quelque habileté que déploient ces usurpateurs en défendant leurs côtés faibles, il leur est bien difficile de tromper leurs femmes, leurs mères, leurs enfants ou l’ami de la maison; mais ces personnes leur gardent presque toujours le secret sur une chose qui touche, en quelque sorte, à l’honneur commun ; et souvent même elles les aident à en imposer au monde.
Si, grâce à ces conspirations domestiques, beaucoup de niais passent pour des hommes supérieurs, ils compensent le nombre d’hommes supérieurs qui passent pour des niais, en sorte que l’État Social a toujours la même masse de capacités apparentes.
Songez maintenant au rôle que doit jouer une femme d’esprit et de sentiment en présence d’un mari de ce genre, n’apercevez-vous pas des existences pleines de douleurs et de dévouement dont rien ici-bas ne saurait récompenser certains coeurs pleins d’amour et de délicatesse ?
Qu’il se rencontre une femme forte dans cette horrible situation, elle en sort par un crime, comme fit Catherine II, néanmoins nommée la Grande. Mais comme toutes les femmes ne sont pas assises sur un trône, elles se vouent, la plupart, à des malheurs domestiques qui, pour être obscurs, n’en sont pas moins terribles.
Celles qui cherchent ici-bas des consolations immédiates à leurs maux ne font souvent que changer de peines lorsqu’elles veulent rester fidèles à leurs devoirs, ou commettent des fautes si elles violent les lois au profit de leurs plaisirs.
Honoré de Balzac
La Grande. Mais comme toutes les femmes ne sont pas assises sur un trône, elles se vouent, la plupart, à des malheurs domestiques qui, pour être obscurs, n’en sont pas moins terribles. Celles qui cherchent ici-bas des consolations immédiates à leurs maux
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