Un conte de Micheline Boland
Un jour, au retour de Rome, une cloche batifole. Là, elle fait un brin de causette avec des nuages.
« Qu’est-ce qui rend vos formes si diverses, si changeantes ? Qu’est-ce qui vous rend si rose ou si gris par moment ? Je vous en prie répondez-moi avant que je n’aille de nouveau m’enfermer dans le banal clocher d’où je viens. »
Elle pleurniche, espérant s’attirer leur bonne grâce. « Un seul voyage par an c’est bien peu pour un être de ma qualité. Imaginez ma solitude quotidienne. Donnez-moi donc votre recette pour changer comme vous le faites.
» Elle s’extasie : « O on dirait un paon, puis un éléphant, puis un ours debout sur ses pattes. Quel spectacle ! Vous êtes géniaux ! »
Un peu de flatterie produit parfois des résultats étonnants, n’est-il pas vrai ?
Mais les nuages demeurent muets. Ils se contentent de suivre leur petit bonhomme de chemin sans se soucier d’elle. Faute de résultats avec les nuages, elle s’arrête pour contempler les oiseaux, les forêts, les cours d’eau. Elle rit du vol d’un oiseau retardataire. Elle s’amuse à voir se cacher puis réapparaître un ruisseau parmi des herbes folles.
Elle descend un peu pour mieux observer les fleurs, les animaux gambadant dans les bois, les poissons nageant dans des étangs. Ceci ralentit sa progression. Jamais, elle ne sera rentrée pour Pâques. Quand enfin, elle reprend conscience de sa tâche, il est trop tard. Elle a beau s’appliquer, elle manque d’énergie. Il faut dire qu’elle est plus que remplie d’œufs et de sujets en chocolat. La voilà qui s’affole. Plus elle panique, moins elle trouve la force d’avancer.
Passe alors un grand oiseau, qui paraît glisser avec une telle facilité qu’elle se met à l’envier. Elle parle bas pour elle-même, mais il l’entend geindre :
« Il me faudrait un peu de la puissance de cet oiseau. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour qu’il m’emmène secrètement avec lui jusqu’à mon clocher ! »
Alors, lui qui sous ses grands airs de seigneur dissimule une faiblesse appelée gourmandise, n’est pas prêt à laisser passer l’aubaine. Il fait demi-tour, tournoie autour d’elle, plonge, remonte. Il se laisse admirer, envier puis, mine de rien propose:
« Puis-je vous aider ma chère vous me paraissez tellement fatiguée ?
» Elle se laisse convaincre sans effort. Bientôt la voilà agrippée, voyageant à une vitesse indescriptible. La voilà proche du but, mais l’oiseau se pose avec elle, la renverse sur la prairie proche de l’église. En quelques coups de bec, il vole tout son chargement qu’il camoufle comme il peut entre ses ailes et qu’il prend dans ses serres. En quelques secondes, elle est dépouillée de son bien par ce détrousseur des airs.
« Merci pour ces friandises. Chaque travail mérite salaire n’est-ce pas ? »
Sur ces mots, l’oiseau la quitte. Elle l’entend se moquer, ricaner, se glousser.Elle gémit. L’heure est aux regrets, au repentir. Tant bien que mal, elle se redresse et rejoint son petit clocher banal. Par sa faute, les enfants du village seront privés de chocolat. Elle s’examine avec le plus grand soin. Plus le moindre copeau de chocolat, plus le moindre œuf, le moindre sujet. Elle pleure et ses pleurs parviennent jusqu’aux cieux.
« J’ai honte. Je suis furieuse. Comment oserai-je encore sonner ? J’en veux à ces nuages, ces paysages verdoyants et surtout à cet oiseau de malheur. Maudits soient-ils tous et maudit soit le chocolat ! »
A peine a-t-elle parlé ainsi, que la voici transformée tout entière en chocolat. Le matin de Pâques, se répand par tout le village une délicieuse odeur. Pourtant, les jardins sont vierges des sujets qui les décorent habituellement, ce matin là. Avant la messe, impossible au sacristain de faire tinter la cloche. Le pauvre homme est désappointé. Il va aller voir là-haut mais au plus il s’approche, au plus il est écœuré par l’odeur. Le sens du devoir étant le plus fort, il progresse en dépit des hauts de cœur. Enfin, il aperçoit la cloche fautive, immense, brillante, brune, décorée d’une sorte de pictogramme. Il court se confier à son curé.
« Il n’y a plus qu’à la casser, à la partager entre tous les habitants du village », estime le curé.
Ce qui est dit, est fait. Il faut même avoir recours au bûcheron pour avoir raison de la cloche. Le curé est bien désappointé de se trouver sans cloche mais les enfants sont ravis. Jamais il n’y a eu autant de chocolat pour un jour de Pâques. Jamais le chocolat n’a eu un arôme à la fois si doux et si puissant.
Longtemps des effluves de chocolat restèrent présentes dans tout le village. Les jours qui suivirent, on vint de tous les environs pour flairer et pour déguster. Quelques jours plus tard, tous les villageois s’unirent pour rassembler les fonds nécessaires à l’achat d’une nouvelle cloche. Il faut dire que la vente des surplus de chocolat aux étrangers alimenta pour beaucoup la collecte.
Ainsi fut remplacée l’inconsciente. On ne s’expliqua pas ce qui était arrivé. On évita tout commentaire. Les années suivantes, la nouvelle cloche remplit son rôle à la perfection.
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